José Giovanni > Scénariste dialoguiste > Le clan des siciliens
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
Coup de fil de mon copain Jacques Juranville, le directeur de production d'Henri Verneuil. Il va venir me consulter sur un sujet. Volontiers. J'ai toujours du temps pour jeter un œil neuf sur le cancer d'un scénario. Au besoin, je frapperai à la porte du bon docteur Claude Sautet. Juranville se pointe avec un roman, Le Clan des Siciliens, écrit par Auguste Le Breton. Henri Verneuil a pris les droits. Le casting - Alain Delon et Jean Gabin - additionné à une production américaine, la Fox, sonne comme les trompettes de la gloire.
« Où est le problème ? .. »
Verneuil revient de travailler aux États-Unis. Son agent, Lebovici, lui a conseillé un nouveau scénariste, déjà au générique des Aventuriers. Pourquoi ne pas glisser que je n'ai qu'une part infime de création dans ce film ? J'ai échangé les contacts médiatiques : premières, cocktails, festivals ... contre les raids à ski, les ascensions, le camping en famille à travers la Corse. Les absents ont toujours tort. Verneuil, confiant, s'est mis au boulot avec Pellegri. Comme tous les grands réalisateurs, Vernenil part d'une idée de son scénariste pour rebondir dessus. Étant lui-même un excellent conteur, il sait que deux imaginaires valent mieux qu'un.
Il a compris que sur le bouquin de Le Breton il fallait changer la domiciliation du clan, regroupé dans une épicerie fine de produits italiens. Entre ce décor et le détournement d'un Boeing, le fossé est visuellement infranchissable. Verneuil voudrait s'éloigner des sempiternels cercles de jeu, casinos, traite des Blanches, restaurants interlopes. Il cherche aussi une certaine rudesse. Ce n'est pas, à mon avis, l'univers de Pellegri.
Je lis immédiatement. Le livre offre, en effet, la possibilité de réunir des stars. Juranville m'attend dans le village. Il a eu l'idée de me soumettre cette recherche pour Le Clan des Siciliens. Verneuil pensait qu'après la mise en scène de deux films je ne voudrais plus travailler sur un scénario pour un autre metteur en scène. Aucune raison, surtout pour lui dont j'admire la carrière.
J'ai lu et je me balade en forêt pour rassembler mes méninges. Une renarde a mis bas non loin du chalet. J'aperçois ses petits se mordillant dans le soleil léger, entre deux blocs rocheux moussus. Je fais défiler mes souvenirs et, parmi cette galerie de malfrats fantômes, la silhouette de Fernand le Sonneur se détache. Il devait son surnom aux bruits échappés du ventre des machines à sous. Aidé de ses deux frères et d'une bande de gros bras, il gérait une entreprise de jeux. Un entrepôt, un stock de machines à placer dans les bars et galeries de jeux. Je redescends direct dans le village pour retrouver Juranville et lui proposer l'idée : Jean Gabin et ses fils à la tête du relevé des compteurs des machines à sous, plus ou moins truquées ... Du muscle et de l'autorité. J'ai aussi pensé à une immense casse de bagnoles. Ça grouille de combines. Juranville préfère les machines à sous. J'ai grande confiance en Verneuil. S'il l'utilise, il me payera pour cette idée-là. Point.
Non seulement il accepte mon idée, mais il me demande si je suis disponible pour travailler avec lui sur l'histoire. Auguste Le Breton sera-t-il d'accord? J'interviens pour la troisième fois sur une de ses histoires. Je le sais un poil susceptible et deux poils jaloux. Pourquoi ne travaille-t-il pas avec Verneuil? Question de contrat. La cession des droits de son livre exclut qu'il travaille au scénario. Je réponds à Verneuil que je suis en attente de l'achat d'un roman américain pour le mettre en scène. Le scénario est fait. J'ai bien trois ou quatre mois de disponibles et je suis enchanté de le rejoindre à Paris. Je retrouve en lui le métier de Jacques Becker et de Claude Sautet. Entre les siennes et les miennes, les idées s'entremêlent. Nous travaillons avenue Bosquet, chez lui. La production m'a loué un studio à Paris. Je gagne royalement ma vie et celle de ma petite famille.