José Giovanni > Réalisateur scénariste télévision > L'Irlandaise
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
Un chanteur, Michel Sardou, rencontré chez Alain Delon, a un problème de scénario avec un prodncteur, pour un téléfilm TFl. Il y a bien une idée de départ mais un manque de crédibilité sur l'ensemble. Michel s'est déjà essayé au polar dans un long-métrage.
Mon nom est prononcé, je ne sais par qui, dans un des briefings de TFl. Sardou prend une position amicale à mon égard. Si j'entre dans cette affaire intitulée L'Irlandaise, il est prêt à signer les yeux fermés. Cette carte blanche m'honore, car il me connaît surtout par mon travail.
Je suis engagé. Le grand vedettariat de Michel Sardou me laisse la pleine liberté du choix des autres acteurs. L'excellente Thérèse Liotard accepte de jouer sa femme. Pour la troisième fois je prends Jean-Jacques Moreau.
Les bureaux du producteur, Jeau-Claude Carrère, occupent un immeuble entier en verre sur un espace réservé aux plateaux de jeux télévisés, feuilletons, etc., 50 hectares à Pantin. Alors que le cinéma long-métrage se recroqueville comme les armées franco-anglaises en 40.
Je désire me rendre à Dnblin.
« Pourquoi à Dublin ?... »
Amusante question.
« Pour trouver une Irlandaise, ça serait plus efficace qu'à Dakar ... »
Premier casting à Dublin. Une jeune Irlandaise, dix-huit ans, Lauren Pilkington, très originale. Un « engin », comme on dit. Elle parle français. Elle a eu un rôle important dans un film de Neil Jordan. Sardou sera content.
Le producteur l'est moins. Sa coproduction avec le Canada l'oblige à choisir l'Irlandaise à Toronto ou à Montréal, sans cela l'argent du Canada s'envole. Ma carte blanche tourne à la grisaille.
Je promets la bonne foi. Je prends l'avion avec une cassette et des photos de Lauren Pilkington. Si on me propose une Irlandaise équivalente au Canada, j' accepterai. Inutile de toujours écrire que Zazie m'accompagne. Pour vivre pleinement, nous évitons de nous éloigner l'un de l'autre.
À Toronto et à Montréal, le casting de la coproduction me présente des rouquines. C'est l'image d'Épinal. Il y a une force chez les Irlandaises. Et une violence. Une structure du visage, et pas seulement des cheveux roux. Je ne peux accepter. À la rigueur, j'aurais pu doubler la comédienne à cause de l'accent, mais leur différence avec Lauren me désespère.
La boîte de production canadienne retire ses billes en m'assurant que le producteur français abandonnera le projet à cause du trou dans le budget. Tant pis. J'expliquerai à Michel Sardou que c'est préférable. On a trop besoin de la puissauce de cette petite, qui doit jouer la fille d'une pétroleuse de l'IRA.
Confronté au diktat des Canadiens, le producteur français me soutient. Il poursuit l'affaire sans eux. Finalement, ils resteront avec nous. Michel Sardou oublie sa renommée d'empereur du show-biz pour servir son rôle d'acteur en toute simplicité. D'une sobriété naturelle, ses expressions toujours justes s'appuient sur sa voix émotionnelle. Je prends soin de donner à Michel une mesure dans l'action qui ne détruirait pas sa prestation d'acteur. Il est possible que, sur le moment, cette mesure lui paraisse insuffisante. Il joue, dans L'Irlandaise, un tireur d'élite qui use de son arme pour terroriser les ravisseurs de cette jeune fille, et il invente une revendication de l'IRA pour achever d'affoler les souteneurs. En plus, il gagne. Il n'était nul besoin de le faire jaillir des voitures un pistolet-mitrailleur dans chaque main, un poignard entre les dents. Scènes émouvantes avec la petite : je pense avoir, dans l'ensemble, mérité sa confiance. S'il ne me reste qu'un seul titre positif dans ma carrière, je revendique celui de m'être défoncé pour les acteurs, qu'ils soient des stars ou des inconnus.