José Giovanni > Réalisateur Scénariste Dialoguiste > Les loups entre eux
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
Je fais le point de ma propre chapelle. Ne pas oublier l'origine de mon entrée dans ce monde : le roman. Je parle édition avec mon ami Alphonse Boudard. L'écriture nous avait dégagé tous les deux d'un horizon encombré par les articles du Code pénal, nous ne demandons qu'à persévérer dans ce nettoyage. Alphonse, plus expérimenté que moi rayon éditeurs, me conseille, car je désire quitter Gallimard.
«Chez Jean-Claude Lattès, y a un directeur littéraire formidable, me dit-il. Louis Nucéra.»
Un ami d'Alphonse, ce qui est déjà une garantie. Un homme du Sud, et, couronne royale, le culte de la petite reine. Jeune, il pensait même devenir coursier pro. Rendez-vous immédiat. Les angles du visage, oui, le vélo entretient sa forme. L'un en face de l'autre pour parler littérature, nous ne parlons que de dentures, boyaux et longueur de manivelles. Et nous nous retrouvons dans la vallée de Chevreuse. Pour un habitué des grands cols, la côte des dix-sept tournants ressemble à un faux plat. Louis Nucéra conserve une cadence qui lui permet de parler. Il ne s'intéresse qu'aux obscurs. C'est une encyclopédie des porteurs d'eau, de ceux qui n'ont tiré que souffrance d'une carrière de coureur cycliste. C'est passionnant. Sous sa plume, les petites gens de ses quartiers niçois découvrent leur noblesse.
Il m'assure que chez Lattès on m'éditera volontiers.
Je n'ai rien à raconter de précis. Qu'importe ! On se revoit. On déjeune. On pédale. Il est doué pour présenter les gens qui iraient bien ensemble. Un soir, chez lui, je rencontre Jean Schmitt, un pilier du journal Le Point. Ancien guerrier, le culte de l'Empereur, une connaissance des marginaux, des bizarres. En quelques phrases courtes, et malgré le respect que nous témoignons à nos charmantes épouses présentes ce soir-là, nous tombons d'accord sur le fait que les terroristes sont des enculés, des glaviots de tubards, des résidus de plateau-repas d'Air Inter. Qu'envers eux, le respect des droits de l'homme, du citoyen, etc., n'est plus de mise, que le temps de la parole est révolu. Ce sont des chacals, et contre les chacals il faut des loups. Ce slogan est un prémisse de scénario.
Jean Schmitt n'est libre que le week-end. Nous nous réunissons dans quelque auberge pour jeter les bases d'un film d'action : recrutement des Ioups pour aller enfoncer un manche à balai dans le cul des chacals qui mitonnent dans un lieu secret de quoi faire sauter les grandes capitales. Nous créons des loups originaux. Des spécialistes de la mauvaise surprise. Des raffinés de la mort discrète.