José Giovanni > Scénariste dialoguiste > Le Deuxième souffle
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
Normalement, je devrais m'occuper d'un nouveau producteur qui a commencé les allers et retours entre Melville et moi pour arranger les bidons. Il s'appelle Charles Lombroso. C'est un rescapé de Buchenwald qui a droit au respect. Concernant Melville, j'ai besoin de réfléchir. J'ai appris que, privé des droits de mon roman, il avait essayé de le plagier, de s'en inspirer, sans avoir l'air de s'en inspirer, tout en s'en inspirant. Pour éviter d'agir et de répéter l'épisode du Trou avec Raoul Lévy, j'ai répondu à l'offre de René Desmaison quant à la première hivernale sur l aface nord de l'aiguille du Midi. J'en ai encore l'âge, tandis que je n'ai plus, moralement, celui de me comettre avec quiconque, Melville compris.

Le derniers 40 mètres s'inclinent. Nous rangeons le sétriers et déouchons à 3 800 mètres d'altitude au sommet de l'aiguille du Midi. Merci à René Desmaison de son invitation à se faire peur. Pierre Mazeaud retrouvera les joutes bon enfant de la Cmabre des députés, et moi, le petit Charles - 1,60 mètres -, son humour et sa copine Mercedes, un grand cheval.

Jean Rossignol, pour mon bien, penche du côté de Melville. Il est temps, dans ma nouvelle vie, de limer mes angles vifs. Chacune de mes demandes est d'abord refusée par Melville. Puis acceptée. La vie du petit Charles se transforme en yo-yo. D'abord mes dialogues. La Hyène a utilisé dans le scénario tous les dialogues du roman et il veut signer seul. J'en rajoute : il faudra aussi encadrer mon nom sur les lumineux des cinémas. Ensuite, la distribution. Il distribue le gangster à Paul Meurisse et le flic à Lino Ventura), qui, il est vrai, adore le rôle. Je refuse de signer. Je veux inverser pour la crédibilité au premier degré. Pour épater la profession, il distribue Tino Rossi dans le gangster qui a monté l'attaque du fourgon. Je refuse de voir Tino un colt à la main. Je n'accepte que Raymond Pellegrin. Simone Signoret ne joue plus Manouche, le rôle étant minimisé. Melville pense à une speakerine de la télé, Christine Fabrega. Il ne cesse de jouer à celui qui fait ce que personne n'a imaginé de faire. Ça lui prend la tête. J'accepte pour arrondir. Il voudrait que je cède sur les droits du roman pour ce qui me restait à toucher du premier projet. Il s'indigne que je veuille revendre, que je remette le compteur à zéro. De quoi tu te mêles, machin, sous ton chapeau de cow-boy et tes lunettes noires ? ... En Corse, on dit : «Qui tu es toi ? ... » Si ce n'était pour le petit Charles, j'aurais tout annulé.
Comme Lino va travailler avec Melville, il me demande si mon litige est réglé. Moralement, il ne le sera jamais. Avant la tentative d'arnaque, nous étions d'accord pour que je joue le rôle du prisonnier qui s'évade avec Gu au début du film. Par l'intermédiaire de Lino, il me propose à nouveau le rôle. Je suis tellement présentement heureux que je refuse l'idée de me gâcher la vie, le temps de poser les yeux sur lui. Sa machine à déverser les calomnies fonctionne à haute production. Et pas seulement sur moi. Son talent, son esthétisme sont épargnés par ce triste côté des choses. Plus tard, avec L'Armée des ombres de Joseph Kessel, il signera son meilleur film et le meilleur film de la période ambiguë de l'Occupation.