José Giovanni > Réalisateur Scénariste Dialoguiste > Mon ami le traître
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
Un jeune avocat, Jean-Marc Ghannassia, reprend l'agence de Jean Nainchrik, lequel va se lancer dans la production. D'année en année, les scénarios aboutis et mort-nés s'entassent dans une agence. Jean-Marc exhume du purgatoire celui de Mon ami le traître, écrit en collaboration avec Claude Sautet et Alphonsè Boudard. Il s'étonne de son séjour à la cave. Je lui dresse un court historique. Après Yves Montand, Claude Berri s'y était intéressé pour réunir Gérard Lanvin dans le rôle du banni et Bernard Giraudeau dans celui de l'officier du Deuxième Bureau. Gérard avait accepté et Giraudeau refusé. Déçu, Claude Berri avait abandonné.
J'avais vu fleurir un peu plus tard l'histoire de deux hommes séparés par leurs idéaux pendant l'Occupation sous le titre Bras de fer, avec un slogan : «Un traître est toujours un ami ». Sur le moment, que faire ?... En remplir un saladier ?... J'avais choisi de n'en parler qu'à mon vélo. Ghannassia jugea que le scénario, non galvaudé, gardait sa fraîcheur. Il promit de le ressusciter. Bonne chance, l'ami. Je ne serais pas déçu, car je n'en espérais plus rien.
Il y a un temps pour le regard à travers le pare-brise et un autre pour consulter le rétroviseur. Que laissera-t-on derrière soi ?... J'ai soixante-quatre ans. Sur mon vélo, je ne me concentre plus que sur ma roue avant en maîtrisant les 14 % de la côte du cimetière. il ne me reste plus qu'à en plaisanter avec tous les copains, Gaby et les autres, que j'ai amenés sur l'obstacle.
Nous avons renoncé à approcher le record d' Albini, le facteur des cimes, sur cette remontée vers mon chalet. J'aime la vraie simplicité de ce phénomène physique à l'aise dans tous les milieux. Lui aussi préfère ceux du terroir à certains fantoches .
Dès que Ghannassia a trouvé un producteur, Alain Sarde, pour Mon ami le traître, je vois l'occasion de travailler à nouveau avec Lino. Le rôle de l'officier lui permettrait de s'exprimer pleinement : l'émotion, le tiraillement entre son devoir et sa conscience, la recherche des tortionnaires de sa femme, une résistante chef de réseau liquidée par la Gestapo. Je suis heureux de lui offrir ce personnage. La jeune femme reste un amour informulé. Un amour de regards. Mieux servir mon ami de si longue date. 1957. Trente années déjà ...
Il hésite. Encore une fois il m'est impossible de plonger dans un baratin de vendeur. Je n'ai rien à lui vendre. Je ne suis pas un fourgueur d'amitié.
Il refusera. Le point de vue sur les événements de l'époque semble le gêner. Il ne me le dira pas vraiment. Il a gardé la nationalité italienne et ne veut sans doute pas porter de jugement sur la réaction du peuple français à la Libération. L'épuration faite par des héros de la dernière minute, tandis que les vrais résistants se battaient dans les Ardennes aux côtés des Alliés. Bâcler en deux mois le procès de certains collabos très importants et les fusiller avant qu'ils ne dénoncent ceux restés en place dans la nouvelle France. Abattre les lampistes et tondre les femmes qui avaient refusé leurs faveurs à ces ignobles coiffeurs.