José Giovanni > Romancier > Il avait dans le coeur des jardins introuvables
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
«Quand j'étais dans le couloir de la mort et que mon Père m'a sauvé la vie ... »
Ceux et celles qui ne me voyaient pas m'ont regardé, et ceux qui me regardaient n'osaient plus fixer leurs voisins. Dans le silence de ce chalet de montagne des Arcs, en cette nuit d'hiver, mon Père était de retour. Trente-neuf ans après sa mort, le souvenir de son sacrifice vient de m'envahir. Mon passage aux chaînes, personne parmi mes amis ne le connaissait.
Évidemment, après Le Trou, le récit autobiographique de ma tentative d'évasion de la prison de la Santé, tout le monde savait que j'avais connu la prison. Ma carrière d' historien de la truanderie vue de l'intérieure en témoignait largement. Mais dans cette soirée d'hiver propice à se raconter, l'évocation de ce souvenir à la fois puissant et macabre maintenait le silence.
À partir de ce jour, je m'abandonne à mes fantômes, mon Père, mon frère ... Plus rien de précis ne me courtcircuite, ni roman ni film à l'horizon. Nous restons à la maison, ce havre que mon Père n'a pas connu. Il serait heureux de m'y sentir protégé. Mon fils Paul a repris en marche le film d'un producteur défaillant.
Plus jeunes, nous avons emmené nos enfants en Corse, dans le village natal de leur grand-père.
Depuis, plus d'intérêt pour la Corse. Et voilà que mon fils me reparle de l'Île de beauté. Il s'en va, dans ce village du cap, à Rogliano, attendre la sélection de son film dans une section parallèle à Cannes. Le geste me touche. Ce soudain besoin de nos racines correspond étrangement au souvenir de mon Père qui hante mes jours et mes nuits.
À tel point que Zazie, ne me voyant plus écrire, me demande pourquoi je n'écrirais pas notre histoire. La mienne, celle des coups durs, ne m'intéresse pas. Mais celle de mon Père. Celle d'un jeune émigré parti de sa Corse natale à dix-sept ans rejoindre ses deux frères aux États-Unis avec un jeu de cartes et cinq louis d'or dans une ceinture à même la peau, héritage paternel.
Oui, cette histoire là...
Et puis, longtemps après, il y aurait la mienne.