José Giovanni > Réalisateur scénariste télévision > La louve |
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
|
On m'envoie beaucoup de bouquins. Une «Série noire », La Pêche aux anges, signée Jean-Bernard Pouy, me plaît énormément. Un style au service de personnages authentiques. Motivations puissantes. Il s'agit d'un trafic d'enfants. Une femme, infirmière, a porté plainte pour disparition. La police traînaille. Elle prend l'enquête en main. Des marginaux l'aideront : un Gitan, un ferrailleur... Mais l'auteur est pessimiste. La jeune femme échoue, et son petit garçon, dix ans, et d'autres enfants enlevés seront souillés malgré tout. Je rencontre Jean-Bernard Pouy pour lui confier mon envie d'en faire un film s'il m'autorise à changer la fin. La mère retrouverait son enfant et les autres, juste avant qu'un bateau ne les emporte vers l'Afrique. Les ravisseurs seraient exécutés sur place. Au cours de son enquête, une histoire d'amour avec un Gitan qui met son fils en danger pour remonter la filière. Chez Pouy, ce gosse-là mourait. Avec moi, il vivra. Pouy a vu mes films. Il accepte mon optimisme. Il pense que dans la société actuelle l'échec est plus réaliste que le succès mais ne tient pas à travailler sur le scénario. Il ne connaît pas cette technique. On lui a déjà proposé de donner des cours à des stagiaires, traduisez : chômeurs en reconversion professionnelle ! Un fonctionnaire recruteur lui aurait dit : «Quand on ne sait pas faire quelque chose, on l'enseigne. » Joli programme, lié à des métiers, il est vrai, difficiles à définir. Comment apprendre à écrire un scénario à quelqu'un qui n'aurait pas d'imaginaire ? Je me lance dans l'adaptation du bouquin de Pouy et je prospecte. Tournage dans le Midi. Budget très, très moyen. Le sujet rebute immédiatement la production long-métrage. Montrer la souffrance des enfants provoquera un rejet du public. Pourtant, dans le scénario, je ne montre qu'un rapt saus aucune violence. Quant aux enfants détenus dans un bateau ancré en haute mer, pas une seule image de sévice. Mais le sujet sera exposé à la presse comme la lutte contre un trafic d'enfants. L'imagination du public fera le reste. Trafic d'enfants = torture d'enfants. J'ai payé l'option sur le livre de Pouy. Il a eu confiance en moi et j'en arrive à rien. Pourtant le personnage de la mère est magnifique. Le courage semble ne plus intéresser personne. Pas plus celui d'une femme que celui de Dan Murphy. On aborde peut-être le règne de l'indulgence pour les pédophiles. En la personne de Jean-Bernard Pouy, j'ai rencontré le plus doué des nouveaux auteurs de polars. À force de vivre, on s'enrichit chaque jour si on y regarde de plus près. Michel Constantin tourne un film dans le Valais suisse, à côté de chez nous. Je lui rends visite à l'heure de la cantine. Reuser, le metteur en scène, est sympa. Nous parlons projets. Entre cinéastes, un sujet de conversation aussi fréquent que la météo. La Télévision suisse est favorable à ce que Reuser travaille pour elle. Je lui propose de tourner le scénario tiré du livre de Jean-Bernard Pouy. Dès que la Télévision suisse apprend que j'ai un sujet qui entrerait dans le cadre de leurs accords avec la «Série noire », ça l'intéresse. On en parle. Ils le lisent et me demandent pourquoi je n'en ferais pas la mise en scène. J'étais tellement branché vers le long métrage que je n'avais guère pensé à un téléfilm. Je dois resserrer le scénario pour les quatre-vingt dix minutes. On me donne trente jours, comme pour Le Tueur du dimanche. " |
||