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Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
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Je jette les bases d'un nouveau roman. Lino cherche toujjours un sujet. Je reçois toutes les «Série noire» qui sortent. Je les passe en revue dans ma bibliothèque et un titre m'intrigue : Le Rapace, de John Carrick. Les aigles me fascinent. En Corse, en montagne, j'ai entendu le vent siffler entre leurs ailes, j'ai détaillé leurs serres impitoyables. Cet auteur raconte l'histoire d'un tueur à gages chargé de dessouder le président imbécile et bestial d'une petite république bananière d'entre les deux guerres. Le personnage croque des oignons crus pour tenir, par l'haleine, les gens à distance. J'en conseille la lecture à Lino. S'il aime ça, il pourra en parler à un des metteurs en scène qui ne cessent de lui apporter des sujets qu'il refuse. En lisant, il devra aussi croire que les rapports antipathiques de ce Rapace avec les femmes et son gosier : en pente ne sont pas obligatoires. Il lit et on soupe chez lui. Il m'en parle comme s'il était en train de le jouer. Claude Sautet, auquel il ne cesse de penser, a conservé un très mauvais souvenir de L'Arme à gauche, tourné avec lui. En clair, il ne veut plus revivre un chaos saccageant la création. Lino a donné Le Rapace à la Hyène, qu'il supporte encore. Mais les réponses sont négatives. On lui oppose le peu d'intérêt politique. Je rigole. Ce n'est pas un film politique. On critique l'époque : ça fera vieillot. Je rigole encore plus. il existe un modernisme pâlichon moins bandant que les gladiateurs. « Et si, au lieu de rigoler, tu tournais le film », me surprend Lino comme une prise de catch. Et le fric ?... Ça sera de quatre à six fois le prix de mon premier film. Essayons. Par éthique, j'apporte le sujef chez SNC. Avec Les Grandes Gueules et Les Aventuriers, ils ont rempli leur grenier. Trois semaines passent et Gérard Beytoux, le co-PDG, me répond que ça ne plaît pas à sa femme. Il y a trop de rocaille et de sueur dans les ambiances. J'oublie d'autant plus facilement que je ne vis pas avec elle. Je me souviens de l'émotion d'Hercule Muchielli devant mon film corse. Rendez-vous dès le lendemain à 10 heures dans ses bureaux place de la Madeleine. Je dépose le bouquin et l'accord de principe de Lino Ventura. Il m'invite à repasser à 15 heures le même jour. Je me dis qu'il veut parcourir le livre et me poser des questions plus précises. Je suis là à 15 heures. «D'accord pour le film, et si vous voulez, je vais vous présenter le producteur qui organisera tout. » Il a parlé doucement. Et il n'a parlé ni du sujet ni d'argent. Qu'on le mette simplement en rapport avec mon agent pour signer mes contrats et acheter les droits du bouquin anglais. Jean Rossignol, à l'annonce d'un film décidé en vingt-quatre heures, se demande si je suis un être humain ou quelque représentant de Merlin l'Enchanteur. |
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