José Giovanni > Réalisateur Scénariste Dialoguiste > Où est passé Tom ? |
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
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J'avais entraîné Rufus en montagne pour la séquence acrobatique de la chasse au chamois. William Glenn, chef opérateur, karatéka de fer, chef d'une équipe musclée, reconnut que la difficulté de ce tournage resterait dans les annales : « Quand vous direz plus tard : j'étais avec Giovanni sur Où est passé Tom ?, on vous répondra que vous êtes un extraterrestre.» Équipe réduite logée dans les bergeries à côté de la mienne, dans un alpage médiéval. Réveil à 5 heures du matin. Marche alourdie par le matos vers la paroi schisteuse zébrée de vires à chamois. La paroi concave ferme ce cirque. Le haut d'un raide pierrier - une heure et demie - amène à une des extrémités. Avec une équipe de chasseurs de chamois et Marceau, grand randonneur, nous avions équipé d'un câble une faille rocheuse ascendante. L'équipe, caméra, son, scripte, encadrés par mes copains, se tire au câble et débouche sur une des vires inclinées qui traversent toute la paroi. Glisser sur celle vire conduirait à un saut de l'ange pour s'écraser 150 mètres plus bas. Nous sécurisons avec des cordes. Rufus est athlétique. On le filme sur un pilier pourri en plein gaz. En ce lieu de toutes les folies, je tourne une traque par des gardes-chasse qui le prennent pour un braconnier. Quelques jours de travail furieux. Parti à 5 heures du matin, je tourne encore en redescendant aux bergeries à 21 heures. Copieuses journées. C'est la montagne. Le bonheur avec des acteurs familiers : Alexandra Stewart, Jean Gaven, le pathétique Paul Crauchet, Gaby, dit Spartacus. Dans le décor de la forteresse de Salce, Charles Denner, fébrile, joue un prisonnier politique antifasciste. Il nous abandonne au bout de deux jours, marqué par les sombres souvenirs de l'Occupation, écorché par la sensibilité de son talent. Le décor le détruit. Je respecte son désarroi et je recommence les deux journées avec un acteur qui avait tourné avec Claude Sautet dans Classe tous risques et avec moi dans Dernier domicile connu : Aimé de Marche. Mes rapports affectueux avec les acteurs sont l'atout principal de mon travail sur un plateau. Je raconte le film à travers leurs regards, leur charisme. Seul le talent de l'acteur s'échappe de l'écran pour toucher le spectateur dans son fauteuil. La grammaire cinématographique des professeurs de cinéma ne fera jamais ni rire ni pleurer personne. Je tourne dans un village fortifié près de Perpignan. Et, aux environs de Collioure, une action frénétique. Zazie et les enfants en vacances suivent le film. Les prouesses en voiture de Rémy Julienne, ce cascadeur génial, me foutent toujours le trac. Ce n'est que du cinéma, et un accident grave sur un de mes films me terrasserait. Alors je ne tourne qu'une seule prise. Se donner un mal de chien ne pèse pas lourd sur le succès ou l'insuccès d'un film. L'avant-première, moitié invitations et moitié public, ne remplit pas le Balzac. Marceau, qui avait assuré avec son hôtel l'intendance du tournage en Suisse, s'est déplacé avec sa femme pour admirer ses paysages suisses. Cette splendeur ne suffit pas non plus. Et pas davantage la meilleure musique qu'ait jamais composée François de Roubaix. À la sortie, Hercule Muchielli me dit sobrement : « C'est perdu. » On ne peut pas toujours dire «c'est gagné». trouve d'autres mots pour me consoler. |
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