José Giovanni > Romancier > Mon ami le traître
Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
Sans abandonner les situations explosives, revenir au polar serait banal. Je réfléchis au thème de la rédemption. À savoir au pardon de la société, de la justice des hommes. À la possibilité de se racheter. Le comportement d'un orang-ontang dans sa forêt vierge en 1930 sera identique en 1950, mais vingt années écoulées sur le cerveau d'un homme le transforment. En bien ou en mal. Être anarchiste à vingt ans est un devoir. À cinquante ans ça tourne à la stupidité. Je veux écrire sur ce sujet.
Je repense au marchandage d'un fait divers : un gangster notoire compromis dans la collaboration livre le plan du minage du métro par les Allemands. En échange : un coup d'éponge sur son passé. Une bonne structure que je vais romancer. D'abord, je rajeunis le personnage et lui donne un frère bossu, un maléfique, qui l'a entraîné vers le mal pendant l'Occupation. La haine envers l'humanité, qu'il rend responsable de sa bosse. Cette idée de Quasimodo me vient d'un sous-directeur de maison centrale, lui aussi bossu. À son arrivée dans ce poste, j'avais dit à mes codétenus : ou c'est un saint qui assume sa bosse, ou c'est une ordure qui nous la fera payer. Ce fut le diable.
Je construis l'histoire. Un service de contre-espionnage accepte le marché. Le métro qui devait sauter sous la Seine est déminé. Georges, le personnage central, se prend au jeu du rachat et se met à travailler avec un officier du service de l'épuration. Nous sommes en 1945. Le frère satanique de Georges s'est suicidé. Georges ne subit plus de mauvaises pressions. Il se lie presque d'amitié avec l'officier et, soudain, la protection tombe. Une autre brigade arrêtera Georges et le traînera devant un tribunal pour intelligence avec l'ennemi. Georges essayera de prouver qu'il s'est racheté.
J'ai deux choix : soit l'officier viendra témoigner que Georges a sauvé un paquet de vies humaines, soit il jurera qu'il ne le connaît pas.
Je mélange ces deux options pour intensifier ma fin.
L'officier, sur ordre de son service, jure au procès que Georges a tout inventé. Il est condamné à mort. L'officier pris de remords, désobéit à son service et, le jour de l'exécution, témoigne en sa faveur. Il est trop tard. Georges est fusillé.
Il me manque tous les personnages annexes et un rôle principal féminin, la maîtresse de Georges. Elle est facile à incorporer. Je peux commencer à rédiger le roman, intitulé Mon ami le traître. Je le donne à Gallimard, qui l'éditera dans une collection hors série.