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Extrait de Mes grandes gueules, José Giovanni, 2002
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Après une première visite à mon jeune avocat, maître Stephen Hecquet - ma première visite d'homme libre -, j'ai multiplié les entrevues. Dans son bureau monacal, rue Pétrelle, il m'accueille avec un regard analytique. Ma tristesse est-elle un paradoxe ?... Lui, l'avocat écrivain, comprend que mes rêves de liberté ne correspondent à rien. Il le voit dans mon regard. Il lui paraît moins vif que celui du prisonnier qu'il a visité onze années durant. Et même moins vif que celui du jeune condamné à mort enchaîné pendant quarante semaines. "Revoyez-vous des truands ?" me demande-t-il ?. Dans le ton, une ombre d'inquiétude. Je lui avoue revoir Jo Attia, une vedette du gangstérisme, lequel m'avait rendu le service d'arbitrer l'éventuel conflit entre le tueur de mon frère et moi. Dans le milieu, l'exercice consiste à faire le "juge de paix", à se porter garant de mon refus de vengeance et à repousser l'idée du "contrat" du côté adverse. En cas de non-respect de l'accord, l'arbitre se trouvera pris entre deux feux. Mon avocat comprend que le service rendu par Attia est réel. "Mais vous feriez mieux d'écrire me dit-il. - Ecrire ?... Pourquoi ?... - Vous cherchez du piment contre la fadeur de votre vie... Revivez vos aventures en les écrivant... Je ne vous parle pas de jouer à l'écrivain. Ecrivez comme une longue lettre, sans chercher à pondre de grande phrases.. Ecrivez comme vous m'écriviez... Comme le journal tenu pendant votre séjour dans le couloir de la mort." Il l'avait trouvé intéressant, et moi, très insuffisant, très pauvre, à tel point que je n'avais pas cherché à le retranscrire, souhaitant même que l'encre s'en efface. Il me rassure. Pas question d'écrire un livre destiné aux vitrines des librairies. Je n'ai qu'un certificat d'études primaires et je crois encore qu'une licence de philo ou de lettres est nécessaire pour prétendre intéresser un éditeur. "Une histoire vécue vous facilitera l'écriture... Allez... Essayez et revenez m'en parler." |
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